samedi 25 novembre 2006

Coffee and Cigarettes ou les brèves de comptoir de Jim Jarmusch

Parmi les différents "genres" du cinéma, le film à sketches n'a pas vraiment la meilleure cote auprès du public et de la critique. Reposant en général sur plusieurs histoires tournant autour d'un même thème, il a surtout connu son heure de gloire avec la comédie italienne des années 50 ,60 et 70. Les plus grands noms s'y sont essayés, tels Fellini, Risi, Scola, Monicelli, Visconti, De Sica et j'en passe. Le genre a aussi eu ses aficionados en France, en Angleterre et aux USA, notamment Woody Allen et les sept sketches de "Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander", ou encore les Monty Python et leur "Sens de la vie". Sans intérêt, trop inégal (ce qui n'est absolument pas le cas des deux films que je viens de citer), le film à sketches doit affronter de nombreux reproches plus ou moins fondés selon les époques et les réalisations. Et ce n'est pas le projet Eros, réunissant en 2003 une plénitude de grands réalisateurs internationaux comme Soderbergh, Kar-Wai ou Antonioni, qui a su faire taire les critiques. Sur le thème du désir, le film est en fait un parfait exemple de ce qu'on reproche au genre : le pire y cotoie le meilleur, et surtout quel intérêt à réunir sur un même projet des réalisateurs, et donc des styles et des points de vue, aussi différents. Je serai tenté d'affirmer que tout l'intérêt vient de là mais ne contredisons pas de grands critiques de cinéma, ça les vexerait. Avec Coffee and Cigarettes, sorti en 2003, pas de problème de ce genre, un seul réalisateur (et lequel ! Jim Jarmusch en personne), un seul style, un seul point de vue.

Formé de 11 courts-métrages filmés en noir et blanc, Coffee and Cigarettes semble a priori un simple exercice de style, même s'il est réalisé de main de maître par Jim Jarmusch. Mais il s'agit surtout pour le cinéaste américain d'une occasion de jeter un regard en arrière et de poser un regard nostalgique sur son travail. Pour comprendre ce que je veux dire (rassurez-vous, même moi quelques fois, j'ai du mal à trouver un sens à ce que je dis), arrêtons-nous un instant sur les acteurs employés par Jarmusch dans les différentes parties de son film. De Roberto Begnini à Alfred Molina, d'Iggy Pop à Tom Waits (qui forment un tête-à-tête insolite et hilarant), de Steve Buscemi à Isaach de Bankolé, pour ne citer que les plus connus, tous ont un jour ou l'autre croisé le chemin du metteur en scène. Celui-ci a donc fait appel à sa grande famille d'acteurs pour ce projet qui paraît au premier abord, non sans intérêt (je n'oserais pas), mais sans grande finalité.

Le thème du film est ainsi très minimaliste : se succèdent devant la caméra quelques personnages discutant de choses et d'autres autour d'une table, buvant du café et fumant quelques cigarettes. Et pourtant (que la montagne est belle ... euh, non, merci quand même Jean), le film ne se limite à un projet idéal pour réunir les grands acteurs jarmuschiens (je sais, cela ne sonne pas bien mais alllez-y pour trouver un néologisme correct avec Jarmusch). Osons les grands mots, Coffee and Cigarettes est l'oeuvre d'une vie. Pour démontrer que je ne dis pas que des conneries, j'en apporte immédiatement la preuve. A l'origine du film, un court-métrage mettant en scène Begnini et Steven Wright, commande de la célèbre émission "Saturday Night Live" en ... 1986. Suivent ensuite un court-métrage de 1989 (avec Steve Buscemi) et un autre de 1993 (avec les deux stars de la musique Iggy Pop et Tom Waits). Les autres parties du film ont été tournées plus récemment. La réalisation du film est ainsi étalée sur plus de 15 ans. Coffee and Cigarettes est donc une sorte de journal de bord spontané qui ne se prend jamais au sérieux. Mais on y découvre, au fur et à mesure des différentes scènes, toutes les caractéristiques qui rendent le cinéma de Jarmusch si excitant et passionnant : tendance à montrer un quotidien étrange et décalé dans lequel errent des personnages marginaux et désabusés, importance de la musique, sens de l'humour et de l'esthétisme, minimalisme de la mise en scène et des situations, poésie dans la simplicité, etc. Bref, Coffee and Cigarettes est un peu la synthèse d'une vie, celle d'un réalisateur génial (pardonnez-moi mon enthousiasme, mais quand je lis ou j'entends les éloges dithyrambiques sur le cinéma d'Almodovar ou de Von Trier, pour ne citer que ceux-là, je trouve que le mot génie n'est pas de trop pour qualifier l'oeuvre de Jarmusch).

Dans un genre aussi difficile que celui du film à sketches, l'avant-dernier film de Jarmusch est donc une parfaite réussite : tous les sketches, sans exception, remportent la plus grande disctinction, même si l'on peut avoir ses préférences. Aidé d'une photographie somptueuse, d'un style parfait et d'acteurs merveilleux (j'espère que je n'en fais pas trop mais j'ai vraiment envie de partager mon enthousiasme), Coffee and Cigarettes est donc une parfaite réussite, un film subtilement décalé et drôle. Je ne peux donc que lancer ce vibrant appel : longue vie à Jarmusch, longue vie au film à sketches et merde à Almodovar et Von Trier (je sais, c'est une attaque totalement gratuite mais qu'est-ce que ça fait du bien).

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Quel enthousiasme !!! Tant pour enjoliver Jim Jarmusch que pour dire merde à Almodovar et Von Trier... je reconnais bien là notre Monsieur Cinéma ;-)